Contes de la fée verte

De Poppy Z. Brite. Folio SF, 1997. Recueil de nouvelles. Excellent. [265 p.] Coup de cœur.
Titre original : Swamp Foetus, 1994.
contesfeeverteRésumé : « Que se passe-t-il quand deux frères siamois séparés à la naissance n’ont qu’un seul souhait : redevenir un ? Quand chaque apparition d’un chanteur rock s’accompagne d’un drame ? Quand un entrepreneur de pompes funèbres du quartier de Chinatown vous charge de surveiller un cadavre ? Et quand vous perdez dans Calcutta livrée aux morts-vivants ? Tout le talent de Poppy Z. Brite se dévoile dans ces douze nouvelles à l’odeur de souffre [sic] et au goût d’absinthe, dont « Calcutta, seigneur des nerfs », récompensé par le Grand Prix de l’Imaginaire 1998.« 
WAOUH. C’est mon impression en refermant cet ouvrage, impression convoyée par le style et les idées de l’auteur tout au long de ces douze nouvelles, quasiment dès la première page, sans compter l’introduction par Dan Simmons qui m’a aussi comblée (« Prolégomènes à toute métaphysique future de Poppy« ).
Avant d’aller plus loin je préviendrai quand même que ce livre est je pense à réserver à un public averti : les idées et thèmes développés ne sont pas des plus légers ou rieurs et jouent très largement avec le dérangeant, et les descriptions de relations sexuelles (ou de comparaisons, atmosphères, etc. sulfureuses) ou de cadavres pourrissants ne sont pas rares. Quand il ne s’agit pas de scènes sensuelles impliquant un cadavre.
ça va, vous êtes toujours là ? :p

Je n’aurais jamais pensé aimé ce bouquin, surtout si on me l’avait présenté comme ci-dessus, alors je vous invite à non pas tout oublier, car ces éléments sont effectivement tous présents dans le texte, mais à passer outre, car lire ces nouvelles c’est s’abandonner à quelque chose qui va bien au-delà de la morbidité ou de l’obscénité. Je ne recherche pas spécialement les livres trash, je ressens régulièrement du dégoût quand je lis des scènes atroces dans les thrillers, même si ça ne m’empêche pas d’aller jusqu’au bout, et l’érotisme ne fait pas partie non plus de mes genres de prédilection. D’ailleurs je ne suis pas certaine que l’on puisse classer Brite dans l’une ou l’autre de ces catégories à cause de son style et de la structure de ses nouvelles (bon d’accord en fait j’en sais rien puisque comme je vous dis ce n’est pas mon style de livre, ou en tous cas je ne le pense pas ! Il existe peut-être des sous-catégories, allez savoir). Pourtant c’est bien autour du thème du corps, vivant ou mort, et ses métamorphoses, que l’auteur construit ses textes. (La 4e nous dit que Brite fait partie de la littérature gothique et underground. J’ai un problème avec « gothique » car c’est aussi le style précurseur du fantastique et ce n’est pas exactement ça)
Je pense à Baudelaire. J’ai lu extrêmement peu de Baudelaire, seulement en cours, et j’en ai retenu très peu, mais je pense très fort à lui depuis que j’ai entamé ce recueil. Comme quoi.
J’ai vaguement évoqué Poe et Lovecraft pour quelques idées, mais franchement, ayant lu les deux, je ne peux pas vraiment les comparer à Brite excepté pour les thématiques dans le sens large, et sans compter le côté très sensuel et sexuel de Brite que je n’ai jamais vraiment trouvé dans les deux autres.
En effet hormis ces corps ou anthropomorphismes divers l’auteur s’inspire énormément du thème de la mort et invite le lecteur dans une atmosphère gothique à souhait (dans le sens plus moderne du terme) : fard et dentelle, sang et ossements, substrats de magie noire ou vi(ll)e nocturne s’incrustent à toutes les pages, suivis aussi parfois par du véritable surnaturel annoncé dès le début du texte (Calcutta envahi par des zombis). De manière générale j’aurais envie de qualifier tous ces récits de « fantastiques » car d’une manière ou d’une autre le réel est à la fois imité et transgressé, que le surnaturel chasse le naturel au galop dès les premières pages ou qu’il se fasse beaucoup plus subtil ou apporté par la note finale.
L’auteur est extrêmement fort* pour nous entourer d’odeurs, de sons, de perceptions formant des atmosphères très particulières et très prégnantes. Son vocabulaire riche et sa syntaxe recherchée y sont certainement pour quelque chose, mais je pense qu’il a aussi un véritable talent, ou qu’il bosse beaucoup ses textes (ou les deux), j’ai rarement « ressenti » des descriptions ou situations à ce point dans mes lectures. C’est assez particulier, d’ailleurs, ses nouvelles sont moins « actives » que celles d’autres auteurs, le rythme est souvent plus lent, mais en même temps je ne m’y suis pas du tout ennuyée tellement je me suis prise au jeu, souriant parfois de scènes rationnellement horribles qu’il arrive très bien à enrober de douceur, sensualité ou même d’une certaine beauté en jouant sur les codes du sublime. En cela je l’ai trouvé exceptionnel ! A côté son style sait aussi se faire très moderne, humoristique parfois, très vivant.
La nuit, les lumières de Chinatown font virer le ciel au pourpre étincelant, et le vent fait claquer contre les balcons en fer forgé des banderoles aux messages indéchiffrables (Bonne santé ? Longue vie ? Allez vous faire foutre ?). L’ai étouffant semble imprégné en permanence d’un parfum d’huile de sésame et de poudre à fusil. Les néons composent un kaléidoscope de couleurs, rouge, blanc, vert, or et azur, et si vous débarquez après avoir pris un peu d’acide, les idéogrammes semblent jaillir des enseignes pour danser la gigue dans les airs, se moquant de votre visage aux yeux ronds, bleus et mystifiés. ~ Xénophobie
J’avais fait une liste des nouvelles avec une petite impression de chacun d’entre elles, mais à la réflexion je pense que ça ne va pas apporter grand-chose de plus à ma critique. J’en ai aimé plus que d’autres, une ou deux m’ont mise mal à l’aise à cause de leurs thèmes (avortement, mort d’un enfant…) sans que je les déteste non plus ni passe à côté de la qualité du texte, une poignée m’ont plus fait penser aux auteurs « classiques » cités ci-dessus, l’un m’a franchement fait sourire – au fait, n’hésitez pas à lire les titres originaux donnés à la fin de chaque nouvelle ! Certains jeux de mots m’ont tuée. X)
Ma préférence va à Anges et Musique en option (Optional Music for Voice and Piano), qui m’ont marquée tout en me plaisant beaucoup. Cependant je trouve que le recueil est très bien tel qu’il est, les différentes nouvelles se complètent très bien les unes les autres.
Des atmosphères et thèmes qui ne plairont sans doute pas à tous, mais une indéniable qualité d’écriture doublé d’un talent pour faire ressentir perceptions et émotions au lecteur. A essayer de toute urgence si ça vous tente ne serait-ce qu’un peu !
* Quelques recherches sur l’auteur m’ont appris qu’il était désormais transgenre, du coup j’ai corrigé ma chronique.
Chroniques d’ailleurs :  Lynnae

6 réflexions au sujet de « Contes de la fée verte »

  1. Je l’ai trouvé assez violent… mais de moins en moins en avançant dans le recueil. J’ai souvenir que les deux premières nouvelles sont vraiment trash. Elle/il a une très belle plume, mine de rien.

  2. J’ai lu Ame Perdue du même auteur que j’avais beaucoup aimé mais un peu de longueur à certains moments, je pense que ce n’était pas son meilleur. Par contre son recueil j’ai terriblement envie de le lire mais à la place j’ai pris un autre titre qui, m’a-t-on dit est juste horrible tellement il est glauque : cadavre exquis… Du coup je crains de l’ouvrir, j’attends le moment où ce livre jouera une attraction avec moi.

    • Maintenant que j’ai lu du Morgane Caussarieu (Je suis ton ombre) je n’ai plus trop peur du glauque, à côté Poppy Z Brite c’est presque soft (presque…)… Bon honnêtement je pense que les deux s’équivalent ! J’ai retenu ce titre : Cadavre exquis, mais je n’ai pas de Brite dans ma PàL pour le moment.

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