Talk to the Snail

De Stephen Clarke. Black Swan, 2007. Essai humoristique. Très bonne lecture. [258 p.]
Sous-titre : Ten Commandments for Understanding the French
Titre français : Français, je vous haime : Ce que les rosbifs pensent vraiment des froggies, 2009
snail

(Parfois une image vaut mieux qu’un résumé)

Allez, pour une fois je commence par les mauvais points, histoire d’arrêter de vous faire penser que je déteste en fait secrètement la moitié de ce que je lis en vous laissant sur des conclusions pinailleuses !

Ce que je continue à reprocher à Stephen Clarke c’est son humour vulgaire qu’il se sent obligé de placer partout – les Français sont de gros pervers, c’est bien connu – non pas que je ne supporte absolument pas ni que je ne saisisse pas l’allusion à nos stéréotypes gaulois, mais j’ai toujours l’impression qu’il oublie une part non négligeable de la population (du moins il me semble !) qui n’a pas forcément envie de lire des cochonneries et sous-entendus douteux toutes les deux pages, surtout quand le contexte ne s’y prête pas spécifiquement. Par exemple, les blagounettes sur les secrétaires, ça va bien une fois… De même, j’ai l’impression d’une image un peu faussée, et surtout extrême, des relations amoureuses des Français : encore une fois l’œil de Clarke navigue entre romantisme / exigences d’un autre siècle [ce que souhaitent toutes les femmes françaises en plus du sexe] – et j’insiste sur le terme exigences, et adultère quasi-automatique [principalement du côté masculin, cette fois] ; aucune de ces deux facettes ne me semble très proche de la réalité actuelle – à moins que là encore je n’ai raté quelque chose.
J’ai aussi un certain « When a French woman says « no » she often means « yes »«  (Lorsqu’une Française dit « non », elle veut souvent dire « oui ») qui me reste un poil en travers du gosier – il a bien tenté de se rattraper par la suite, cette phrase ne lui servant visiblement que d’accroche de la deuxième partie du chapitre « Tu Ne Seras Pas Servi », mais c’est quand même vachement limite de mon point de vue.
In France, when a girl says no she often means yes. So does a guy, for that matter. I’m not saying that they want to get raped. Though sometimes good service in France does feel a bit like non-consensual sex.
Monsieur Clarke (et chers amis Anglais), certains d’entre nous, et sans être une minorité ridicule, sont probablement beaucoup plus pudiques, réservés et/ou intéressés par autre chose que le cul dans notre vie que votre livre ne le laisse penser… Nous n’avons pas dû fréquenter le même type de personnes, j’imagine ! (L’auteur a passé 12 ans en France tout de même)
Bien. Mis à part ces points que je continue de déplorer et qui m’ont plutôt fait grincer des dents, ce livre m’a quand même bien fait rire, et à de multiples reprises – l’auteur sait en fait très bien se montrer subtil, ou du moins pas forcément obscène, quand il le veut bien. Le style n’est pas extraordinaire, mais il est dynamique et suffisamment riche tant au niveau de la syntaxe, des paragraphes ou du vocabulaire pour que je n’aie pas l’impression de lire un truc fade non plus. Les chutes tombent assez juste, parfois même très juste, tantôt pleinement humoristiques et tantôt cyniques. Ce livre, contrairement à d’autres du même auteur et malgré ce que le titre peut laisser supposer, m’a paru rétablir un certain équilibre entre les « mondes » anglo et frenchie, qui ont tous les deux leurs failles et leurs forces. Bien loin de railler toutes les petites (et grandes) choses qui ne vont pas en France, l’auteur explique aussi pourquoi lui et d’autres de ses compatriotes seraient fous de ne pas en profiter, car il y a également des choses qui marchent très bien, ou sont très avantageuses / agréables, et dont nous pouvons être fiers, même si nous ne nous en rendons pas toujours compte. Il se montre aussi très étonné que des choses qui de prime abord lui semblent être un frein /chaotiques se révèlent tout à fait efficaces dans notre pays (j’ai beaucoup ri en lisant que les réunions anglaises ne devaient jamais se finir plus tôt que prévu, et tout le laïus qui suit sur le concept de « cible », inconnu ou presque en France, et pourtant… inutile même en Angleterre ?).
Cet aspect m’a énormément plu : il y a tout un côté critique social et culturel, que ce soit sur le concept de gourmandise, apparemment unique ou peu développé ailleurs, la fameuse (même si parfois fumeuse) Sécu vs le néant absolu en Angleterre, les différentes notions de travail ou d’efficacité (partie que j’ai trouvée très cocasse !), ou la solidarité qui semble ne pas avoir du tout disparu en fin de compte. Du côté plutôt négatif, vu comme un parcours d’obstacles volontaire par S. Clarke, on trouve au hasard le dog’s poo, le fait que personne n’a plus tort que face à un Français, ou cet étrange virtuosité langagière qui permet d’allier politesse exquise à insulte cinglante, sans parler des délicieuses vulgarités à la française.
 Si vous voulez savoir à quel point les Anglais nous trouvent bordéliques et feignants tout en s’ébahissant de l’efficacité et de la productivité française, avoir un aperçu du champ de mines que sont parfois les conventions et comportements français aux yeux des Brits mais aussi comprendre les entrelacs de cet « amour-haine » binational, ce livre est pour vous.

6 réflexions au sujet de « Talk to the Snail »

  1. Tes premiers paragraphes me font bondir !
    Heureusement que ce livre a l’air intéressant par ailleurs notamment pour la sécu, le boulot et bien sûr la gourmandiiiiiise ! Je suis curieuse mais je lis tellement peu et pas du tout en VO que je ne risque pas de m’y attaquer :/

    • Bon quand je dis « toutes les deux » pages en fait c’est peut-être un peu exagéré, sinon je crois que j’aurais refermé très vite le livre sans chercher plus loin ^^’. Sa vision des Françaises et Français, par contre, c’est récurrent dans tous ses bouquins, ça me gêne beaucoup plus… Heureusement que ce n’est qu’un paragraphe, mais je pense très fort que ce monsieur n’a jamais entendu parler de la lutte contre le harcèlement de rue, et je suppose également qu’il ne doit connaître que des adultères et cocus heureux pour en parler avec autant de légèreté (enfin, après tout, j’entends parfois des discours semblables venir des Français et je trouve ça aussi déplorable). Par contre il est traduit (j’ai mis le titre au-dessus de la couv) donc tu n’es pas du tout obligée de le lire en VO. 🙂

  2. Ce qu’il dit sur les françaises quand même, c’est juste horrible. Rien que pour ça et même si son essai ne se résume pas à ça, je n’ai pas du tout envie de le lire. :S

    • Je suis allée rechercher l’extrait exact histoire de rendre à César… mais je continue de penser qu’il a fait ici un très mauvais choix. En même temps en ayant lu d’autres de ses livres j’ai l’impression qu’il n’est vraiment pas très respectueux de manière générale, bonnes idées et critiques ou pas à côté, et je trouve ça dommage, ça me gâche un peu la lecture à chaque fois alors qu’au départ je pense être le public visé – beaucoup d’idées étant à côté au contraire bien développées, et dépassant l’humour ou l’écrit de bas étage, intéressantes et pertinentes, et dans ses essais beaucoup plus que dans ses romans (que je ne pense pas continuer parce que je me suis un peu ennuyée dessus)!

  3. J’ai lu « God Save la France » qui m’avait bien fait rire. Ceci dit, c’est le genre de livre qui fonctionne beaucoup sur le stéréotype et qui fera certainement beaucoup plus rire les lecteurs du même pays que l’auteur plutôt que ceux du pays regardé…

    • Je vois ce que tu veux dire mais justement je ne suis pas trop d’accord avec ce postulat, cet auteur arrive très bien à sortir des stéréotypes de temps en temps, avec des analyses détaillées, rationnelles et fines, alors pourquoi pas complètement ? De plus il semble s’adresser autant aux Français qu’aux Anglais dans tous ses livres. Je comprends très bien son objectif critique, mais je préférerais quelque part qu’il n’utilise que de gros stéréotypes, au moins je pourrais prendre tout ce qu’il dit au second degré ; là je navigue en eaux troubles de temps à autre.
      La série des Paul West au contraire se présente bien comme une fiction, documentée certes, mais pas un essai comme cet ouvrage – et c’est bien là aussi que je trouve que le bât blesse.
      Bon, je suis peut-être hyper optimiste sur ce coup en m’imaginant que tous les lecteurs de fiction, même humoristique, sont conscients que cela reste de la fiction et ne prennent pas toujours toutes les choses au pied de la lettre ni ne font de généralisations… ^^’
      Ceci dit que pense que ses ouvrages ne sont pas non plus à jeter ; s’il me choque très nettement par quelques-uns de ses propos, il arrive aussi très bien à me faire rire de façon globale, et je trouve qu’il traite de sujets ou de points intéressants également.

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