Blade Runner

De Philip K. Dick. J’ai Lu, 2007. Science-Fiction. Excellente lecture. [251 p.]

Titre original : Do Androids Dream of Electric Sheep ?, 1968 ; trad. par Serge Quadruppani

Paru précédemment en français sous les titres Robots blues et Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?

bladerunnerRésumé : « Les androïdes Nexus 6 ne sont pas de simples robots. Leur intelligence est bien supérieure à celle de certains humains. Et parce qu’ils ne supportaient plus l’âpreté de la vie sur Mars, huit d’entre-eux ont assassiné leurs gardiens avant de s’enfuir sur la Terre. La brigade spéciale des Blade Runners a mis Rick Deckard, son meilleur chasseur d’androïdes, sur l’affaire. Les renégats seront difficiles à coincer, même avec le test standard… Mais la paie proposée devrait lui permettre de concrétiser son rêve : remplacer son simulacre électrique de mouton par un vrai ! Cependant, quand surgit face à lui la belle Rachel, toutes ses certitudes sont remises en cause…« 

Poussée par l’arrivée d’une nouvelle adaptation de ce monument de la SF (après un article sur Asimov j’ai l’impression de me répéter !) sur grand écran, j’ai sorti de ma PàL ce petit opus récemment arrivé (cette année !) pour me plonger une fois de plus dans les univers frisant parfois l’absurde, sans toutefois jamais paraître si délirants, de Sieur K. Dick.

Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? Sous son aspect burlesque ce titre résume tellement de choses du bouquin que ça en devient vertigineux.

Je ne suis pas sûre qu’on lise du K. Dick ; peut-être serait-ce plus juste de dire qu’on vit une expérience K. Dick, ou que ses œuvres lisent en vous. C’est en tous cas avec ce sentiment que j’en suis ressortie plus d’une fois.

Rick Deckard est un homme vivant dans une société où les animaux sont devenus rarissimes, même les insectes, même les plus nuisibles ; et je dois dire que si l’auteur se concentre sur ce point il me semble qu’on ne parle pas beaucoup de verdure non plus, le monde ayant été ravagé et pollué par une guerre mondiale atomique ayant laissé des radiations un peu partout. Tout l’univers dans lequel évolue le narrateur semble hyper urbanisé, constitué de métal, de pierre et de matériau manufacturé. De ce fait posséder même un crapaud – un vrai – est considéré comme un luxe, et si le marché noir est florissant, même avec ses maigres stocks, il existe aussi un marché parallèle fabricant des répliques animées – comme des animatronics mais en encore mieux – de toutes espèces. Deckard, en bon consommateur, fait lui aussi partie intégrante de la cohorte d’acheteurs potentiels, lui qui n’a qu’un vieux mouton électrique. D’un côté j’ai eu beaucoup pitié du héros qui n’a quasiment que ce pauvre leitmotiv pendant tout le texte ; d’un autre côté la vie quotidienne de ce monde a tellement de côtés miséreux et déprimants que j’ai aussi compris que les habitants puissent se raccrocher aussi désespérément à leurs bestioles, vraies ou pas.

[Il] s’équipa pour sortir, se munit de son écran occipito-nasal au plomb, modèle Ajax de chez Mountibank, et gagna les terrasses couvertes, sur le toit de l’immeuble, où « broutait »  son mouton électrique. Là-haut, cet incroyable tas de ferrailles ultra-perfectionné bouffait de l’herbe d’un air ravi, sous l’œil jaloux des autres occupants de l’immeuble. ~ p. 12

D’ailleurs si Deckard a une femme, elle apparaît presque immédiatement comme déshumanisée aux yeux de son mari et de la société qu’elle ne peut s’empêcher de considérer d’un point de vue trop lucide pour son propre bien-être, tombant dans le cynisme et la dépression, refusant même – idée absurde s’il en est ! – d’utiliser son orgue d’humeur Penfield pour améliorer son état mental. Pourtant le programmateur d’humeur fait partie intégrante de la vie quotidienne des gens depuis un sacré moment et il permet à lui tout seul d’économiser somnifères, psychotropes et psys tout court, et garantit une vie saine et heureuse à tous ses utilisateurs (soit 100% de la population ou peu s’en faut).

La seconde motivation de Deckard est son métier : blade runner, il fait partie d’une brigade d’élite de la police chargée de poursuivre et d’éliminer les androïdes criminels. En effet si la population terrienne est majoritairement composée d’humains il existe également plusieurs générations de robots, plus ou moins évolués, qui vivent principalement dans les colonies extra-terriennes tout en étant plus ou moins mêlés à la population (mais sans être considérés comme des êtres humains). Les derniers modèles semblent même dangereusement se rapprocher des êtres humains : ils usent de leur liberté comme bon leur semble, ont des revendications, évoquent des sentiments… heureusement Deckard a une solide formation, de l’expérience ainsi que du matériel pour l’aider à débusquer les « andros » au milieu des vrais gens, et les tuer.

Sa dernière mission en date se révèle pourtant plus difficile que prévue car les capacités des derniers modèles Nexus 6, couplés à une certaine fatigue et lassitude de se part, ébranlent les convictions de Deckard en matière d’andros : et s’il était capable d’éprouver de l’empathie pour eux ? Son monde pourrait-il alors continuer à tourner rond ?

L’univers de Blade Runner est impitoyable, cruel et intolérant. La vie des habitants est rythmée et cadrée en même temps par l’émission de télé de l’ami Buster, figure comico-hilarante, et par le mercerisme, théologie à échelle mondiale concoctée par Wilbur Mercer, homme, prophète, dieu et immortel, et figure de visions de certains protagonistes. Les handicapés ou personnes mal intégrées à la société sont rejetées en bloc, presque niées, parfois plus que les androïdes, par exemple toute personne considérée comme « spéciale » se voit interdire de procréer. La notion d' »humanité » est devenue très étroite, et le concept moral semble ne plus exister. On se préoccupe plus d’une bestiole électrique que d’un être humain, on fantasme sur les femelles androïdes tout en délaissant les relations humaines et amoureuses, et tout cela en prônant l’empathie – avec Mercer en tous cas – une valeur qui semble hormis sa composante religieuse (?) dériver vers la politique ou le sens moral brut, puisque tout le monde sait que les andros n’ont pas d’empathie donc il vaut mieux en montrer. Un minimum. En paroles du moins. Histoire de ne pas passer pour un putain d’andro.

Est-on vraiment si loin de certaines composantes et certains comportements de notre propre « humanité » ?

Debout devant son récepteur de télé inerte, il eut soudain le sentiment que le silence était visible et aussi, mais à sa manière, vivant. Vivant ! ce n’était pas la première fois, loin de là, qu’il ressentait cette austère approche. Le silence entrait alors par effraction, avec violence, sans aucune subtilité, incapable, à l’évidence, de la moindre patience. Le silence du monde ne pouvait plus retenir sa soif de tout engloutir. ~ p. 25

Glaçant et fascinant à la fois, Blade Runner m’a emporté dans son tourbillon malsain de questionnements sans réponse et d’humanité corrompue par sa bien-pensance et ses dynamismes de consommation – comme dans Ubik, me semble-t-il me rappeler.

Étrangement, malgré son ton très sombre et ses composantes multiples, j’ai trouvé que ça se lisait très bien, passé l’immersion dans l’univers au début. On se surprend même à rire (jaune) de certains traits d’esprit de K. Dick placés ici et là.

Un roman de S-F dystopique passé dans les classiques que je recommande sans hésitation.

6 réflexions au sujet de « Blade Runner »

  1. En lisant ta chronique je me rends compte que je suis complètement passée à côté de tout ce qui est intéressant dans ce roman. Le fait d’avoir vu l’adaptation ciné avant ma lecture à sûrement joué!

    • ça arrive… 😉 ça m’arrive aussi, ou parfois l’inverse : un truc que j’adore, puis je lis une chronique qui démonte point par point l’oeuvre, et je ne peux pas m’empêcher de me dire que je suis totalement d’accord, mais j’ai quand même aimé. 😀

  2. J’ai acheté Ubik il y a quelques années sans avoir encore pris le temps de le lire, la sortie de Blade Runner le film, m’avait aussi sérieusement donné envie de lire Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? (j’adore ce titre !)… et je ne les ai toujours pas lu ni l’un ni l’autre 😦
    Merci pour ton billet en tout cas qui me fait office d’une bonne piqûre de rappel ! 😉

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