Le Club des punks contre l’apocalypse zombie

De Karim Berrouka. ActuSF, 2016. Post-apo humoristique. Excellente lecture. [413 p.]

Illustration : Diego Tripodi

Le-club-des-punksRésumé : « Paris n’est plus que ruines.
Et le prix de la cervelle fraîche s’envole.
Heureusement, il reste des punks.
Et des bières.
Et des acides.
Et un groupe électrogène pour jouer du Discharge.
Le Club des punks va pouvoir survivre à l’Apocalypse.
Enfin, si en plus des zombies, les gros cons n’étaient pas aussi de sortie…

Il est grand temps que l’anarchie remette de l’ordre dans le chaos ! »

J’avais un tout petit peu entendu parler de Berrouka avant les Imaginales 2016, mais c’est à cet occasion que j’ai pu d’abord l’entendre en table ronde (où il a dit entre autres que détruire les monuments qu’on connaît avec des zombies et des punks c’est rigolo : en tant que rôliste je suis très sensible à ce genre d’arguments 🙂 – la modératrice avait l’air choquée qu’on puisse trouver ça drôle tout court, fiction ou pas. Un monstre dont il était justement question avait dû lui aspirer toute âme d’enfant et toute imagination juste avant, m’est avis). Forcément en sortant de la TR il fallait que je lui achète ce bouquin.

Cela me fait toujours tellement plaisir quand je tombe sur des livres originaux, qu’ils soient drôles ou non, mais totalement jouissifs pour l’une ou l’autre raison ! Je ne suis pas passée loin du coup de cœur pour celui-ci ; en fait excepté un choix de l’auteur auquel je n’ai pas cru sur la toute fin, j’ai dévoré tout le livre sans période creuse, parce qu’il est juste super bien tant sur le fond que sur la forme.

Qu’on s’entende bien : je ne connais pas, ni ne me sens d’affinités particulières ni avec les punks, ni avec leur musique, ni avec leurs idéologies (ni avec les zombies mais vous vous en doutiez plus sans doute). Enfin, c’était le cas avant ma lecture et rien que ça c’est magique ! Le pari de Berrouka de faire de marginaux des héros, de rebuts de la société les sauveurs de l’humanité, est parfaitement réussi. Là où certains ne font leur part que parce que ça occupe leur journée, ou parce qu’ils y trouvent un côté distrayant (avec ou sans l’aide de substances psychotropes), d’autres y voient une formidable opportunité de changer le monde et d’imposer leurs idées et se portent en nouveaux messies (en rangers et avec la crête qui va bien avec). On pourrait se dire que c’est casse-figure, que ça tournerait forcément au pastiche frisant le ridicule, mais en fait, tout en gardant les personnalités propres à Deuspi, Fonsdé, Mange-Poubelle, Kropotkine, Eva, et Glandouille & Pustule (& leurs clébards), l’auteur arrive très bien à les intégrer dans une aventure aux allures épiques, à leur donner non seulement une place qui leur est propre mais une importance dans le récit général.

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Bien entendu l’humour est loin d’être absent du récit, et j’ai beaucoup ri au cours de ma lecture : des situations, des dialogues, des personnages eux-mêmes, ou de la façon qu’a l’auteur de mettre en scène ou de présenter certains passages. Il en résulte un mélange à la Pratchett ou Douglas Adams (mais je n’ai pas beaucoup d’autres références en Fantasy ou SF légère), entre joyeuses loufoqueries et philosophie sous-jacente qui elle est traitée avec plus de sérieux.

La weed, c’est un truc de hippie. Et s’acoquiner avec le côté baba de la force n’est pas une option acceptable pour les deux keupons destroy. Une évidence qui s’est imposée dès leurs premiers pas, au même titre que leur amour du punk bourrin. ~ p. 28

Quand l’homme ne sait pas ou ne sait plus, il se tourne vers Dieu… Qui n’en sait pas plus que lui,qui ne répond jamais, mais c’est toujours rassurant de savoir qu’il existe un être supérieur, sourd, muet et complètement désintéressé de ses ouailles, dans les mains duquel on peut mettre son destin.  ~ p. 210

Petit avis de précaution : personnellement je suis capable de lire des opinions assez variées sans que cela ne me gêne fondamentalement ; cependant il est fort possible que certains lecteurs se sentent peu d’affinités avec les idées politico-idéologiques d’Eva ou de Kropotkine, ou bien l’apparition de certains « ennemis » du Collectif 25 qui confine d’ailleurs parfois (souvent) au grotesque. Ceci dit tout est dans le titre : je n’imagine pas trop des lecteurs aux opinions particulièrement étriquées, à moins qu’ils n’adhèrent complètement qu’à ce type d’idéologie, se ruer sur cet ouvrage :). Cela reste néanmoins un texte de fiction humoristique, pas un essai politique, donc je ne pense pas non plus que l’aspect politiquement incorrect sera bloquant pour les lecteurs qui auront vraiment envie de se lancer là-dedans. Personnellement c’est même ce qui a fait pour moi un des gros charmes du bouquin !

En fait je dois dire qu’au-delà de la rigolardise j’ai appris pas mal de choses sur certains courants, idéologiques ou culturels, au cours de cette lecture, et comme je vous l’ai déjà dit j’aime toujours apprendre des choses, même en tenant compte du fait que le trait a peut-être été grossi pour la fiction, même si ce n’est pas un documentaire… ça reste des nouvelles visions du monde, des pistes à creuser un jour ou l’autre, ou qui me serviront de références. C’est intéressant. En parlant de références, Berrouka s’amuse bien là aussi entre culture classique et culture contemporaine. (Je ne cite pas de noms pour vous laisser la surprise, mais on croise quelques célébrités zombifiées).

Deuspi et Fonsdé jubilent. C’est l’anarchie. Ce à quoi Kropotkine répond que non, ce n’est pas l’anarchie, c’est le chaos. Ils confondent tout, encore et encore, n’ont aucune conscience des réalités de la lutte sociale, l’anarchie ce n’est pas péter des rotules de CRS et brûler des commissariats, aussi plaisant que ça puisse être. ~ p. 27

Le voilà caméléon post-apocalyptique, mystificateur ultime, jouant de la duperie tel un Iago face à un peuple d’Othello zombies. ~ p. 230

J’ai aussi énormément aimé le côté « épique » – sans vous en dévoiler trop, les scènes d’action sont aux petits oignons, les héros n’ont pas le temps de s’ennuyer (hormis petites pauses bienvenues de temps à autre, justement dosées) et le lecteur non plus, et Berrouka a poussé le bouchon jusqu’à mettre en place des légendes urbaines (mention spéciale au Grand Pouilleux ainsi qu’aux chapitres intitulés « La geste de… » comme « La geste de Mange-Poubelle », sans oublier l’Armée errante), des retournements de situation dignes de films à gros budget, et des prophéties à deux francs six sous (sans doute ce qui m’a le moins plus dans le bouquin à cause leur utilisation à la fin) – bref, tous les ingrédients que l’on trouve plutôt d’habitude dans les grandes épopées, notamment de Fantasy (encore une fois, d’après mes expériences de lecture).

Le Grand Veneur de l’Apocalypse fait alors face à ses troupes après avoir escaladé un toboggan. (…) – Armée errante, combattants électriques du monde de cendre, le temps est là de votre gloire ! Nous allons entrer dans la citadelle, nous le peuple des laissés pour morts. Nous châtierons ceux qui cultivent le mal, l’aliénation, ceux qui rongent le monde de leur fausse pureté. (…) Ô Armée errante, le Grand Veneur vous guide, soyez sa chasse fantastique, soyez ses cohortes de morts à nouveau vivants ! ~ p. 193

Enfin un petit mot sur le style de l’auteur qui est loin de sentir la poubelle : le rythme narratif est bien géré, entre phrases courtes et percutantes et paragraphes beaucoup plus longs et parfois lyriques, et un vocabulaire ma foi certainement plus honnête que celui de la plupart de ses personnages ! Je serais curieuse de le lire dans un autre genre, surtout que j’ai trouvé son écriture extrêmement fluide en plus d’être riche et dynamique.

Cette épopée déjantée et politiquement incorrecte ne vous emmènera vers aucun pays exotique, car l’auteur se propose de nous divertir avec du familier et du contemporain. Pourtant, à la lueur d’une apocalypse zombie, dans les ruines du royaume capitaliste parisien, ce sont bien les punks à chiens qui pourraient nous surprendre par leur résistance et leur débrouillardise !

 

Chroniques d’ailleurs : Blog-O-Livre, Avides lectures, Appuyez sur la touche « Lecture », La plume ou la vie

 

 

6 réflexions au sujet de « Le Club des punks contre l’apocalypse zombie »

    • Je pense que ça peut aussi être une occasion de découvrir de la science-fiction humoristique, je pense qu’il est tout de même plus accessible que H2G2, qui se pose dans un monde d’extra-terrestres et de vaisseaux spatiaux, ou les premiers Pratchett qui comportent beaucoup de références non expliquées. Là au moins ça reste le monde réel (avec des zombies). Après je sais que le genre ne convient aps à tout le monde, ça reste spécial. 🙂

  1. J’adore ta chronique, elle est croustillante à souhait !!!
    J’ai découvert Karim Berrouka avec « Fées, weed et guillotines », que j’ai trouvé vraiment très réussi ! Voici ma chronique si tu veux la lire : http://lup-appassionata.blogspot.fr/2017/04/fees-weed-et-guillotines-de-karim.html
    Je n’ai pas hésité une seule seconde à acheter celui-ci, et ton avis me confirme que j’ai vraiment bien fait, merci 🙂

  2. J’en avais entendu parler sans trop m’y intéresser mais ton avis me donne très envie d’en savoir plus. Je pense que je me laisserai tenter si l’occasion se présente 🙂
    Kin

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