La Fin des dieux

De A.S. Byatt. Flammarion, 2014. Conte. Excellente lecture. [188 p.]
Titre original : Ragnarök, The End of the Gods, 2011
findesdieuxRésumé : « En pleine Seconde Guerre mondiale, tandis que les bombes pleuvent sur l’Angleterre, une jeune fille est évacuée à la campagne. Elle a bien du mal à comprendre le chaos qui l’entoure, mais un livre de mythes scandinaves va venir bouleverser sa vie. Elle découvre un univers où une meute de loups poursuit inlassablement le soleil et la lune, un serpent gigantesque hante les profondeurs et des dieux se livrent à une bataille sans merci, détruisant la planète par leur inconscience. A S Byatt crée avec La Fin des dieux un conte puissant et prophétique qui interroge notre propre mortalité.« 
On suit les pensées d’une « frêle jeune fille » sur la guerre mais aussi et surtout sur sa lecture des Dieux d’Asgard, un ouvrage de mythologie nordique. Pour nous, pour elle, on suit récit après récit, mythe après mythe, de chapitre en chapitre, entrecoupé de ses propres réflexions, comme une tapisserie qu’on tisserait sous nos yeux. Elle explique ce qui la gêne, ce qu’elle a du mal à comprendre, mais aussi ce qui lui plaît ou lui semble logique, créant petit à petit du sens à partir de ces mots anciens et quelque peu barbares, de ces concepts étrangers et de toute la démesure que l’on peut trouver d’entre les racines d’Yggdrasil aux combats d’Odin les plus épiques. C’est une fresque personnelle, une vision de ce monde révolu. On est à la limite entre le conte et le roman / récit, entre une certaine réalité historique et narrative (l’enfant est réaliste; ainsi que son environnement immédiat) et la mythologie et les croyances.
Une connaissance même limitée du Voyage du Pèlerin de Bunyan (The Pilgrim’s Progress) est je pense un plus pour cette lecture. L’ayant subi (plus qu’apprécié, même si je reconnais une certaine qualité à l’œuvre) en L2 d’Anglais, j’ai pu me rappeler les allusions, les situer. En même temps l’histoire de Bunyan n’est pas bien compliquée : il s’agit d’un jeune homme qui s’appelle Christian en VO – Chrétien en VF (…), qui va devoir passer une série d’épreuves pour montrer qu’il est digne du Paradis (allégoriquement et plus ou moins explicitement !). Date de parution : 1675, vous comprenez mieux ? Bref, c’est apparemment un classique pour les petits Anglais (les pauvres, parce que quand même Narnia à côté c’est hyper actif et moderne).
« Au commencement était l’arbre. Le boule de pierre menait sa course dans le vide. Sous la croûte était le feu. Les rochers bouillonnaient, les gaz sifflaient.  Quelques bulles crevaient la surface de la croûte. L’eau saturée de sel s’accrochait à la boule tournoyante. De la boue coulait à la surface et dans cette boue se dessinaient des formes mouvantes. Tout point d’une sphère en est le centre et l’arbre était au centre. Il faisait tenir le monde, dans l’air, sur la terre, dans la lumière, dans l’obscurité, dans l’esprit. » ~ Yggdrasil, le Frêne-Monde
« Toujours ils vont par trois, c’est une loi du récit, autant des mythes que des contes de fées. La Règle de Trois. Dans le récit chrétien, les trois sont le grand-père irascible, l’homme généreux que l’on torture et l’oiseau blanc aux ailes qui palpitent. » ~ Homo Homini Deus Est
« Cette chose obscure lovée dans son cerveau et ces eaux ténébreuses qui recouvraient la page appartenaient à la même réalité et constituaient toutes deux une forme de savoir. C’est ainsi que fonctionnent les mythes. Ce sont des objets, des créatures, des histoires qui peuplent notre esprit. Ils ne s’expliquent pas et n’expliquent rien en retour. Ce ne sont ni des croyances, ni des allégories. Ces ténèbres avaient fini par envahir l’esprit de la frêle enfant et se mêlaient à la façon dont elle appréhendait la moindre nouveauté. » ~ Une frêle enfant en temps de paix.
 J’ai apprécié cette incursion dans les mythes nordiques, je m’y suis plongée avec délices d’autant plus qu’il me semble que c’est la version la plus « lisible » que j’aie jamais trouvée (excusez-moi mais l’Edda c’est un peu indigeste de mon point de vue français du  XXIe siècle ! Je n’ai pas encore trouvé de Voluspa), et qu’elle m’a également semblée plutôt complète. Par exemple, le Fimbulvinter ne me disait rien du tout, ni Randrasill, ainsi que quelques personnages « secondaires », parmi les Ases ou non ; je ne savais pas non plus que Jörmungandr était, ou pouvait être considéré, comme l’enfant de Loki, le « penseur enflammé » – personnage extrêmement développé ici, quasiment central à la deuxième moitié du livre ! Peut-être que ces éléments étaient dans l’Edda que j’ai lue, mais comme je vous le disais j’ai trouvé le texte difficile d’accès, décrochant à certains moments. Bref j’ai sacrément amélioré ma connaissance des dieux nordiques et de leurs petites affaires, et grandement apprécié aussi la précision de l’auteur au début du texte : à savoir que les mythes évoluent et comportent souvent plusieurs versions, des histoires ou des noms – du moins ceux transmis longtemps à l’oral.
L’auteur partage également avec nous quelques réflexions plus générales sur les mythes, qui m’a, encore une fois, profondément rappelé certaines phrases et explications du professeur Tolkien (Du Conte de fées, les Monstres et les Critiques). On abordera dans cette partie la différence entre mythes et cotes de fées, entre personnages de roman et personnages de mythes.
Une petite phrase dans laquelle je me suis intégralement reconnue, à la seule exception que de toutes les mythologies la nordique est une de celles qui m’a fait le plus longtemps défaut : « Je ne « croyais » pas aux dieux nordiques et je me suis même servi de ce que je savais de leur univers pour en arriver à la conclusion que l’histoire chrétienne n’était qu’un autre de ces mythes, le même genre de récit sur la nature du monde.« 
Une lecture très enrichissante, poétique et accessible. Je conseille à tous.

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