De Fernand Robert. PUF (Que Sais-Je ?), 1988. Synthèse. Excellente lecture. [123 p.]
Les ouvrages de cette célèbre collection ne semblant pas faire l’objet de résumés, je me suis jetée à l’eau sans idée plus précise que je risquais d’avoir affaire autant au panthéon grec qu’aux Mystères d’Éleusis et de Delphes. Sur ces deux points j’avais raison, mais pas tout à fait dans le sens auquel je m’attendais le plus. En effet, bien loin d’être un ouvrage sur la mythologie grecque, cette étude se propose de définir les rites et symbolismes de la vie hellène du point de vue quotidien, en se basant sur des conclusions archéologiques qui m’étaient globalement inconnues. Ce fut donc une découverte quasi-totale, passionnante et enrichissante, que je relirai certainement.
Fernand Robert introduit son écrit par la délimitation très claire de deux champs d’étude, voire même deux niveaux distincts : la religion, c’est-à-dire les rites et leur symbolisme découverts par l’archéologie ; et la mythologie qui s’occupe, en conséquence, de fournir des figures mythiques et les histoires qui vont bien avec, parfois même sans lien avec les croyances réelles des populations performant les rites originels ! On a donc droit à toute une partie sur la conception des « temples » grecs, et un sacré nombre de soucis de vocabulaire en lien avec un sens religieux bien différent de celui que l’on peut avoir en France au XXe siècle ou même au XXe. Par exemple je ne savais pas que la plupart des rites se faisaient en extérieur, ni que la fonction de prêtre est plus proche de celle d’un adjoint municipal que celle d’un évêque aujourd’hui, au contraire des devins, « cassant » ainsi le modèle tripartite proposé par Georges Dumézil (un grand bonhomme en étude des civilisations et rites indo-européens), qui base la plupart des sociétés sur trois « castes » au sens large du terme, un partage entre les fonctions religieuse, économique et militaire. Il semblerait donc que l’essentiel des rites en Grèce antique ait été orchestré et mis en œuvre par monsieur tout-le-monde (madame peut-être pas, ils étaient un peu machos à l’époque), qui pouvait se charger de cette fonction parmi d’autres, sur un laps de temps court et au vu de tout le monde la plupart du temps, pendant qu’à côté se déroulaient les « Mystères » et autres absconsités (ce mot n’existe pas semble-t-il), scindant donc la fonction religieuse en diverses organisations très différentes.
Quand je dis que ce livre ne traite pas de la mythologie grecque c’est un peu faux – simplement il est à mille lieues de ces livres que j’avais dévorés enfant puis adolescente qui présentaient une généalogie précise des liens entre les dieux et déesses, leurs attributs respectifs ou leurs animaux fétiches dans des listes claires et nettes. En effet, après cette lecture je ressors convaincue que cela n’a rien d’aussi délimité ni étriqué, et quelque part d’un point de vue quotidien cela fait tout autant, si ce n’est plus, sens à mes yeux. D’après l’auteur ce choix de classer les dieux grecs dans d’abusives petites cases date des années 70, et ne reflète aucune exactitude historique (même si c’est amusant).
Un des exemples donnés qui m’a le plus frappé est celui d’Athéna : déesse adoptée par Athènes, ça c’est certain, mais à multiples facettes : la protection, la guerre, les sciences, mais aussi la santé, ou même d’autres choses, sous la forme d’épiclèses – des épithètes en raccord avec une fonction précise à un moment donné (qu’on invoque quand on en a besoin): Athéna Polias, protectrice de la cité ; Niké, victorieuse ; Promachos, combattante en sentinelle ; Enhoplos, en armes ; Ergané, ouvrière ; Hygieia, en rapport avec la santé – comme le dit l’auteur il est presque plus simple de définir ce qu’elle ne recouvre pas ! J’ai pris beaucoup de plaisir à voir le texte parsemé de termes grecs, qui sont d’ailleurs suffisamment définis pour ne pas perdre le non-hélléniste en route. Ci-dessus je retrouve des racines de « hoplite », « ergonomie », « hygiène » – sans parler du Niké ou Nikè, qui me rappelle des souvenirs de lycée : une célèbre marque de chaussures et d’articles de sport (au départ) a repris le nom, ainsi que le « v » de « victoire », traduction directe du grec, en tant que logo… 😉 (Oui j’avais une prof qui pouvait se montrer très cool et très intéressante). Artémis quant à elle portait la double casquette de vierge et mère, alors que Poséidon luttait avec Athéna pour des rôles un peu semblables (et en aucun cas limité à la seule mer), aboutissant finalement à une certaine trêve et régnant tous les deux sur le Parthénon. Apollon, Aphrodite et Héphaïstos ne seraient carrément pas Grecs pour un euro… mais ont plus ou moins acquis leur nouvelle nationalité sur le tard.
Bien que l’ouvrage soit fouillé et la langue châtiée, je ne l’ai pas trouvé dur à lire à proprement parler, même si beaucoup de choses et de concepts étaient nouveaux pour moi. Fernand Robert sait se faire comprendre, il part du principe que le lecteur a un certain bagage culturel mais n’hésite néanmoins jamais à rappeler de quoi il parle, même brièvement, mais de façon qui m’a semblé claire ; si jamais vous hésitez vous pouvez feuilleter l’ouvrage ici et vous faire votre propre opinion. En tous cas c’est un ouvrage que je recommande au moins à ceux qui s’intéressent à l’Histoire aussi bien qu’à l’Antiquité ou à la Grèce de façon générale.
J’espère ne pas avoir raconté de bêtises là-dessus, j’ai toujours cette crainte d’avoir mal compris ou mal ressorti quelque chose lorsque je lis des choses complexes, ça peut aller très vite. Toutefois j’imagine que cela vous donnera toujours les grandes lignes de l’ouvrage, et, pourquoi pas, l’envie de mettre vous aussi votre nez dedans.:)