Quand j’étais petite, je me souviens, on avait tendance à me dire : « Oh, tu aimes [insérer n’importe quoi ici] ! » quand ils me voyaient avec un bouquin portant large en titre ledit sujet. Cette tendance s’est un peu calmée, due je crois partiellement au fait que c’est un peu moins naturel pour les gens, maintenant, de se pencher en s’extasiant sur mes lectures tout en ayant l’air gentil. [De mon expérience, j’ai toujours eu l’impression que les adultes essaient surtout de faire en sorte d’avoir l’air gentil face aux enfants ; c’est assez rare qu’ils s’intéressent sincèrement à leurs lectures – d’où des questions/remarques non seulement mal tournées mais creuses]
En fait, ces gens avaient à peu près cinquante pour cent de chances de se tromper. La seule chose qu’ils pouvaient déterminer avec certitude, ce n’est pas que ce sujet me plaisait, mais qu’il m’intéressait.

Depuis mon adolescence – âge auquel j’ai commencé à avoir des lectures parfois moins innocentes que les dinosaures ou les champignons – je ne peux m’empêcher de faire un peu attention, non pas à ce que je lis, mais à comment et à qui je dévoile certaines de mes lectures. Les gens ont tendance au premier coup d’œil à mélanger les deux concepts, non seulement les termes mais les actes / sentiments, confondant intérêt intrinsèque (ou pas, d’ailleurs), et implication. Moi aussi, quand je vois quelqu’un lire quelque chose que je n’aime pas / ne m’intéresse pas du tout, j’ai toujours tendance à penser d’abord que si cette personne lit ceci, elle aime forcément cette lecture, et est donc probablement très différente de moi. C’est complètement idiot*, n’est-ce pas ?

Quand il s’agit d’aimer ou non certains genres littéraires, cela peut déjà envenimer les esprits (autre débat). Alors, qu’en est-il lorsque les lectures se rapportent non pas seulement à des types-clés de publics ou de qualité littéraire, mais à des sujets polémiques, gênants, ou tabous ?
Quid de cet ouvrage complet sur tel parti politique ?
Quid de cette synthèse sur tel courant religieux / sectaire ?
Quid du Sexe pour les Nuls ? (Existence du titre non vérifié ! :p)
Quid du « Comment bien vivre sa grossesse » ?
Est-ce que je dois obligatoirement – faire partie de / vouloir intégrer / partager les opinions de ce parti ou cette religion ; être vierge et / ou seulement en train de découvrir ma sexualité ; être enceinte / le prévoir – pour lire ces livres ? Est-ce que je ne pourrais pas juste satisfaire une curiosité – curiosité qui a pu me venir de cours (scolaires) mais aussi de l’actualité, d’une conversation au détour de ma journée, de mots interceptés dans les transports en commun, d’une autre lecture qui n’avait en fait pas grand-chose à voir avec le sujet du livre « maudit » ?
J’ai une anecdote : il y a quelque temps, alors que je venais juste de mettre en ligne la critique d’un polar traitant des francs-maçons (de Giacometti et Ravenne), et de la partager sur Facebook, j’ai eu le choc de voir soudainement apparaître sur le mur d’un contact (donc visible sur le mien) une avalanche de messages haineux anti-maçonniques. Je ne lui en veux pas, je ne l’ai même pas viré de mes contacts ; mais franchement je me demande encore si c’était juste une énorme coïncidence (ce qui est possible bien que je n’ai jamais vu de tels messages auparavant), ou si c’était bien une forme de représailles. J’ai vérifié 3 fois ma critique pour être sûre de n’avoir pas, même par erreur, laissé entendre que j’étais pro-maçonnique ! Quelques soient mes lectures, je n’entends pas faire consciemment d’adeptes de telle ou telle chose. Mais non. Apparemment, si c’était bien dirigé contre ma critique, ou simplement dirons-nous en parallèle par rapport à celle-ci, mon seul tort était d’avoir osé ouvrir un livre qui traitait du sujet.

Vu les positions tranchées de certains de mes contacts, je me demande quels effets je pourrais obtenir avec d’autres titres bien choisis… ^^
De manière générale, je lis, on lit, avec plus ou moins d’attentes et d’opinions sur le sujet. Parfois on lit quelque chose qui, on le sait d’avance, ne va pas nous plaire, pour le plaisir de réfuter ce qu’il y a dedans ; parfois au contraire on est content de pouvoir relire ce avec quoi on se trouve d’accord. Et puis parfois on se jette à l’eau avec rien de plus que toute l’objectivité qu’il nous est possible de rassembler, sur un sujet qu’on ne connaît pas, ou peu, et sur lequel nous n’avons que peu d’opinions, sans être, ou peu, impliqués.
* Cependant il y a effectivement des cas où le type plongé dans sa revue d’astrologie est effectivement (très) porté sur l’astrologie (et va même de dévoiler ton horoscope sans que tu le lui demandes). Bon. Rien n’est simple !