De Josef Schovanec. Pocket, 2013. Témoignage. Très bonne lecture. [281 p.]
Résumé : « Josef Schovanec n’est pas fou. Ni luxembourgeois, tchèque ou plutonien. Il n’est pas non plus un génie. Il est autiste. Diplômé de Sciences-Po, docteur en philosophie, Josef maîtrise une dizaine de langues, mais n’a pas parlé pendant plusieurs années. À huit ans, il était capable de présenter un exposé d’astronomie mais restait presque inapte au discours social. Est-ce son intelligence, la vivacité de son esprit, son sens de l’humour ? Josef est spécial… comme tout un chacun. Un témoignage salutaire qui contribue à changer notre regard sur l’autisme.«
J’ai piqué ce livre à un membre de ma famille concerné par l’autisme, à qui je l’avais offert il y a quelques années – je l’ai lu, corné de partout pour repérer des passages, et je lui ai racheté un exemplaire neuf pour me garder celui-ci dans ma bibliothèque parce qu’il m’a fasciné et que je compte le relire un jour, et/ou le prêter.
Le 2 avril est en France la journée de sensibilisation à l’autisme, c’est donc un hasard heureux qui fait que je n’avais toujours pas chroniqué ce livre depuis – hrem – des mois et que le jour soit férié, me laissant tout loisir de vous raconter ce que j’en ai pensé. 🙂
Ce livre est tellement dense que je ne sais pas trop par quel bout le prendre… D’abord il s’agit d’un témoignage – moitié autobiographie, moitié réflexions / documentaire sur le sujet de l’autisme vu de l’intérieur. Ensuite il est relativement court, et il se lit très bien. Si le vocabulaire parfois élevé et les phrases souvent complexes (dans le sens grammatical du terme) pourrait freiner la lecture de certains, l’auteur se rattrape avec un dynamisme et un humour omniprésent – frisant très souvent le cynisme, ce que j’adore !, ce qui rend l’ensemble très vivant et aussi fluide, j’ai trouvé, qu’un bon roman. L’alternance entre anecdotes de vie et réflexions générales passe très bien.
Pourquoi lire ce livre ? Parce que vous vous intéressez à l’autisme et qu’il recouvre la plupart des détails (qu’il exploite), polémiques (qu’il explique), clichés (qu’il détourne ou tourne en dérision) attenants au sujet ; parce qu’il est écrit par quelqu’un qui le vit au quotidien et tente de l’analyser de manière objective et sans larmoiement (au contraire il cherche souvent le versant comique) ; parce que c’est un bon orateur. Parce que vous vous en fichez de l’autisme mais que vous avez envie de lire un livre drôle et optimiste. Parce que vous trouvez aussi que le monde est absurde et que ça vaut bien non pas un mais dix, cent, dix mille livres dessus.
Pourquoi ne pas lire ce livre ? Non, en fait je ne peux pas vous le déconseiller. 😉 Simplement, je mets quelques bémols, non pas de plaisir de lecture (justement !), mais sur ce que vous y trouverez : comme indiqué, maladroitement, on en conviendra, par le sous-titre, Schovanec est certes diagnostiqué Asperger mais il se caractérise aussi par une curiosité intense, une appétence notamment pour les langues (il en maîtrise plusieurs dont des anciennes comme l’hébreu), et des compétences cognitives visiblement hors-normes. Le fait qu’il ait été brièvement membre de Mensa, comme relaté dans ce livre, semble le confirmer. Et moi, qui ne suis pas autiste mais corresponds d’après de savants calculs à la deuxième catégorie, je me retrouve tout à fait dans plein de petites choses qu’il exprime ! Du coup je suis un peu ennuyée car il semblerait que l’auteur ait écrit ce livre pour montrer l’autisme, sauf qu’il parle de plusieurs de choses qui me semblent plutôt relever du haut niveau intellectuel (mes expérience, lectures, amis ou connaissances concernées autistes et/ou HQI à l’appui), mais il semble plus ou moins renier ses capacités cognitives et tout rapporter à l’autisme. ça m’ennuie pas mal car c’est déjà un amalgame fréquemment répandu, par exemple je connais une fratrie ou le seul qui ne semble pas trop s’intéresser aux langues est celui qui est autiste (Asperger aussi), qu’on sait très bien et depuis longtemps qu’il y a plein d’autistes, Asperger ou pas, qui ne sont pas surdoués, et que par ailleurs on peut s’intéresser de près à certains sujets « à la con » (du point de vue de la norme), et y exceller en amateur, sans pour autant être autiste.
Hors université, quand on me pose des questions et que je sais la réponse, même maintenant, je suis souvent fort gêné : est-il correct de donner la réponse ? Est-il normal que les autres ne la sachent pas et moi oui ? ~ p. 66
Hors langues ou intérêts spécifiques/restreints j’ai lu encore deux ou trois choses qui m’ont fait un peu grincer des dents lorsqu’il concluait : « voilà comment une personne avec autiste voit le monde », parce que je n’étais pas d’accord avec sa conclusion. D’ailleurs dans certains cas je ne peux même pas le rattacher franchement aux personnes surdouées non plus. Il s’agit plus d’être dans la norme ou pas, tout court : chacun pourrait ou non s’y reconnaître, à mon avis.
Ceci dit dans son cas, eh bien tout le concerne, c’est vrai ! (Et les références et parties consacrées à l’autisme qui ne me font pas grincer des dents sont très nombreuses, je vous rassure) Et du coup le sous-titre, même racoleur, prend quelque part tout son sens. Donc pour moi c’est bien un témoignage de personne avec autisme et haut QI, même si je ne me vois pas forçant M. Schovanec à le reconnaître 😀 😀 (on a le droit de ne pas se focaliser sur les mêmes choses !).
De toutes façons un témoignage reste quelque chose de personnel donc vous pouvez toujours lire n’importe quelle biographie d’une personne autiste et ne pas du tout y retrouver quelqu’un que vous connaissez bien et qui est diagnostiqué en tant que tel. Aussi une histoire de continuum autistique, etc, etc. Comme il le dit lui-même, en fait (oui, je palabre, mais on est d’accord, quelque part, lui et moi) :
[Eu] égard à la complexité de l’être humain, il est quasiment impossible d’isoler l’influence pure du facteur « autisme ». ~ p.109
D’ailleurs si ça se trouve il n’a pas voulu se focaliser précisément sur l’autisme même s’il s’y rapporte fréquemment ; je suis en train de me dire que ce n’est pas parce que le livre est vendu avec cette étiquette que c’était le seul but de son auteur.
Bref, malgré le fait que tout ça me donne sacrément envie de vous baratiner sur le(s) sujet(s) (j’espère que je ne vous ennuie pas trop), ou justement à cause de ça, il n’en reste pas moins que j’ai l’impression de ressortir de ma lecture avec quelque chose en plus, quelque chose d’humain, et aussi un petit sourire au coin des lèvres. Il y a beaucoup de réflexions sur la norme, sur la pseudo-logique du monde, de la société, qui en fait est un dédale de contradictions, et c’est juste délicieux de lire ce jeune homme « pas comme tout le monde » nous démontrer que « tout le monde » n’a pas en soi une définition satisfaisante, ni une cohérence interne si évidente que ça. Finalement je suis ressortie du livre en me demandant, comme Schovanec, si la « norme » qu’on nous propose n’est pas finalement bien plus absurde que les lois ou logiques suivies par les personnes qui n’arrivent pas à y entrer, si l’asile et les psy ne concerneraient pas plutôt les gens de « l’intérieur ». Il y a aussi un très beau discours récurrent sur le voyage et l’enrichissement personnel par les cultures variées, qu’elles appartiennent au présent ou à l’Histoire, tout comme les langues. Schovanec est par ailleurs l’auteur d’un ouvrage sur ce thème : « Éloge du voyage à l’usage des autistes et ceux qui ne le sont pas assez« , qui je pense pourrait également m’intéresser.
Une sélection qui j’espère vous donnera envie de lire cet ouvrage… unique :
Toute l’année, plusieurs fois par jour, j’y avais songé [aux « temps forts »]. Paniqué par ce qu’il faudrait faire ou ne pas faire. Un état de stress difficilement imaginable pour les autres enfants, sûrement ravis de cette perspective – notons à ce titre que l’aptitude à comprendre les autres, censée être déficitaire chez les autistes, n’est pas nécessairement meilleure chez les personnes qui se jugent saines. ~ p.43
Aucun manuel ne le dit clairement : il est des choses qu’il faut savoir et des choses qu’il faut ignorer. Et faire la distinction est une des choses les plus ardues qui soient. ~ p. 66
Dans mes moments de déprime, je me sens apatride ; dans mes moments de manie, citoyen du monde. ~ p. 109
Il peut être à première vue contre-intuitif de dire que le contact avec l’altérité peut être plus simple que le contact au sein du groupe social familier. Pourtant, ce n’est pas toujours le cas. ~ p. 113
Je suis extrêmement sceptique vis-à-vis du cliché médiatique ou populaire du petit génie avec autisme. C’est à mon sens une restriction brutale de l’humanité de cette personne. […] Il faut bien se rendre compte par ailleurs que les « numéros de cirque » (il n’y a pas d’autre terme) qui sont parfois présentés à la télé sont complètement artificiels. N’importe qui peut vous faire le coup du calendrier perpétuel : tel jour de la semaine correspond à telle date. Il suffit d’apprendre l’algorithme, tout le monde ou presque peut le faire. ~ p. 138
Devenir normal : faut-il signer le pacte faustien ? ~ p. 202
Ce n’est pas un livre vers lequel je me serais tournée de moi-même comme je lis très peu voire pas de non fiction, mais j’ai beaucoup aimé ta chronique qui m’a fait réfléchir sur certains points même si je ne connais pas grand chose à l’autisme!
Pour une incursion dans le sujet je pense que ça peut être un bon point de départ ! 🙂 Tant mieux si ça t’a donné de quoi penser, j’ai eu un peu peur de trop m’étendre mais visiblement tu as pu aller jusqu’au bout ! ^^’