De Mark Haddon. Vintage, 2004. Roman jeunesse. Très bonne lecture. [272 p.]
Titre français : le Bizarre incident du chien pendant la nuit, 2005.
Résumé : « Qui a tué Wellington, le grand caniche noir de Mme Shears, la voisine? Christopher Boone, « quinze ans, trois mois et deux jours », décide de mener l’enquête. Christopher aime les listes, les plans, la vérité. Il comprend les mathématiques et la théorie de la relativité. Mais Christopher ne s’est jamais aventuré plus loin que le bout de la rue. Il ne supporte pas qu’on le touche, et trouve les autres êtres humains… déconcertants. » (Source : Babelio, édition Pocket)
J’avais repéré depuis un bon moment ce livre, qui est sorti lorsque j’étais en début d’études universitaires et qui a tout de suite été encensé par les critiques. J’aurais été plus jeune peut-être serait-je allée le piocher dans le CDI par curiosité. La médiathèque de la ville, où j’allais à ce moment, offrant largement plus de possibilités de lectures, notamment en termes d’imaginaire – ce qui m’intéressait plus – j’ai délaissé ce roman « pour ados » (naaan désolée c’est pas du YA :p), qui parlait en plus d’un gamin un peu dérangé (j’en vois un qui rigole dans le fond !). Bref, pas ma tasse de thé de prime abord.
Finalement au cours des dernières années je suis un peu plus revenue vers les romans qui traitent de sujets de société – je continue à les préférer en format jeunesse, d’une certaine manière je trouve ça plus digeste, plus attrayant, et puis les sujets ne sont pas forcément plus mal traités, même si c’est souvent plus synthétique. La découverte d’une personne Asperger dans mon entourage m’a également donné un pourcentage de curiosité supplémentaire d’aller à la découverte de ce roman – à titre de comparaison, et pour avoir une idée de la manière dont l’auteur présenterait cette particularité. Je suis finalement tombée sur la VO devant l’église St-Bidule, près de la gare Saint-Lazare. Une association de quartier y donnait des livres. Je suis sûre de déjà vous avoir parlé de cette conspiration menaçant nos PàL – eh bien voilà, ils sont véritablement partout.
Verdict ? Ce roman mérite tout à fait ses prix littéraires. Il se lit extrêmement bien, va au-delà du simple livre jeunesse – pour moi il est à conseiller à tous les publics – et apporte un certain nombre de détails documentaires en plus d’être un minimum prenant de par son intrigue.
Le narrateur est Christopher lui-même : il nous explique tout autant comment fonctionne sa famille, ses routines, à quel point elles peuvent être cruciales pour lui, ce qu’il aime ou n’aime pas, que les raisons qui le poussent à enquêter sur le canicide et la manière dont il s’y prend, du haut de ses 15 ans et en essayant de surmonter son handicap comme il le peut (son autisme le limite effectivement beaucoup sur plein de points). J’ai trouvé ce flot de pensées incessant très intéressant à tous points de vue, et j’ai apprécié que l’auteur y incluse des parties « documentaires » spécifiques (surtout scientifiques). J’aime bien le principe sur un plan littéraire, et les focalisations extrêmes et pointues sur certains sujets sont fréquentes chez les personnes autistes, donc ça me paraît très pertinent.
I wondered whether Mrs Shears had told the police that I had killed Wellington and whether, when the police found out that she had lied, she would go to prison. Because telling lies about people is called Slander.
(Je me suis demandé si Mme Shears avait dit à la police que c’était moi qui avait tué Wellington, et si, une fois que la police se serait rendu compte qu’elle mentait, elle irait en prison. Parce que mentir à propos des gens ça s’appelle de la Diffamation.)
En même temps, et même si certaines choses sociales lui échappent complètement, il pose un regard d’ado relativement lucide et mature sur le monde qui l’entoure.
I think prime numbers are like life. They are very logical but you could never work out the rules, even if you spent all your time thinking about them.
(Je pense que les nombres premiers sont comme la vie. Ils sont très logiques mais vous ne pouvez jamais comprendre les règles, même si vous passez tout votre temps à y penser.)
I think people believe in heaven because they don’t like the idea of dying, because they want to carry on living and they don’t like the idea that other people will move into their house and put their things into the rubbish.
(Je pense que les gens croient au paradis car ils n’aiment pas l’idée de mourir, car il veulent continuer de vivre et n’aiment pas l’idée que d’autres gens vont venir habiter dans leur maison et jeter leurs affaires aux ordures.)
D’un autre côté l’auteur choisit de nous montrer autant ce qui peut apparaître comme les faiblesses de Christopher que les moyens qu’il a, ou choisit, pour les surmonter ou les contourner. Là aussi cela induit une progression du héros de l’histoire, ce qui est en général plus intéressant que d’avoir un personnage statique ; mais c’est aussi une réalité : contrairement à d’autres autistes (de ce qu’on en sait en 2016), les « Aspies » peuvent effectivement prendre conscience de leurs difficultés et s’y adapter dans une certaine mesure, mesure qui va bien entendu différer selon les personnes.
J’ai éprouvé pas mal d’empathie pour ce pauvre Christopher qui vit quand même dans un drôle d’environnement (famille et voisinage), qui le découvre de manière un peu soudaine et violente, et tente tant bien que mal de remettre les choses à une place plus juste. Les personnes ne sont pas toujours très tolérantes à son égard (parfois simplement parce qu’il est vu comme un enfant), et lui si soucieux des règles se rend vite compte qu’il va devoir faire des concessions ou trouver des failles dans le système dans lequel il vit, et prendre pas mal de risques s’il veut mener son enquête à bien. On est bien loin du Club des Cinq à qui tout tombait tout cuit dans le bec ! La « deuxième » partie de l’histoire m’a plutôt prise aux tripes tant l’auteur nous explique longuement tout ce qui pourrait mal se passer, et certaines choses dérapent effectivement bien même si le lecteur s’y attend, et nous inclut dans les nombreuses angoisses du héros.
Un très bon ouvrage, accessible à un grand nombre de lecteurs, qui m’a autant divertie que documentée.
Chroniques d’ailleurs : La biblio de Gaby
NB : Je ne sais pas bien pourquoi mais ce livre me fait penser à Des Fleurs pour Algernon. Pourtant les sujets évoqués ne sont pas les mêmes – si ce n’est l’intelligence de manière large ?
NB 2 : la comparaison dont je vous parlais au début ne tient pas trop – il existe tout un tas d’autismes, et même les Asperger entre eux semblent parfois être très différents. Mais j’ai trouvé ça intéressant de le remarquer dans les détails, en partant du principe que Mark Haddon s’est documenté sérieusement ou qu’il connaît lui aussi un Aspie ou deux.
Il faut que je me l’offre !
J’avais adoré ce livre !
Il est dans ma PAL de ce mois j’espère pouvoir le lire. Ta critique confirme mon choix.
il se lit vraiment tout seul. 🙂