Il va falloir, je le sens, que je vous explique une petite chose à propos de mon rapport à la lecture. En tous cas j’en ai bien envie. 🙂
Du fait de mon environnement familial et social, j’ai commencé par lire en français, et continué sur cette lancée pendant un sacré nombre d’années. Au fil des mes lectures, avant même de commencer l’enseignement des langues vivantes à l’école, j’ai commencé à repérer des choses, ici et là, qui titillaient mon cerveau et commençaient à construire des petites catégories chacune dans leur coin, et pourtant tous reliés quelque part : parfois, dans les livres, se glissent des mots voyageurs, des mots venus d’ailleurs, d’autres temps ou d’autres lieux. Je me suis mise à les « collectionner », et je suis à ce jour toujours ravie d’en trouver dans n’importe quel texte (surtout lorsqu’une traduction ou explication me permet d’en saisir le sens). Je ne les retiens pas tous, naturellement, mais j’ai comme une constellation de termes trouvés ici et là que je peux parfois reconnaître, sans parler aucune de ces langues. ^^
Je crois que les deux premières langues qui ont véritablement commencé à m’intéresser ce sont le latin et le grec. Pourquoi ? Depuis que je lisais des livres qui me disaient que les noms de dinosaures signifiaient quelque chose, dans ces deux langues. Le grec et le latin scientifique, en paléontologie au moins, me semblent avoir tendance à être « bricolés » – mélange des deux, utilisation tantôt de l’un tantôt de l’autre – ce qui est assez perturbant. Toujours est-il qu’à 8 ans je savais que « rex (, regis) » signifie « roi » en latin, et « basileus » signifie aussi « roi », mais en grec ancien, et j’avais un peu la sensation d’avoir accès à des arcanes secrets. Bien sûr ce n’était pas même avec les 13 tomes de mon encyclopédie préhistorique que j’aurais pu bricoler une phrase en grec, mais c’était tout de même un bon début de base lexicale, et ça m’a surtout donné envie d’en savoir plus.

Opisthocoelicaudia, ou « os de la queue creusé à l’arrière ».
Quand on m’a demandé si je voulais faire du Latin en 5e j’ai sauté de joie (même si c’était un tantinet moins rigolo par la suite d’apprendre toute la grammaire…), et quand une classe de Grec ancien s’est ouverte en 3e j’ai foncé vers l’évidence – que j’ai assumée, au contraire du Latin qui s’arrêtait en 3e justement, jusqu’au Bac. J’ai un excellent souvenir de ces deux classes, même si celle de Latin comportait bien (trop) plus d’élèves et ressemblait plus à un autre cours, alors qu’en Grec nous n’étions qu’un très petit nombre – de 12 nous sommes passés à 2 en Terminale (deux S ^^). Et puis c’était tellement drôle de devoir apprendre l’alphabet. De plus je trouve le Latin plus laborieux, un peu plus compliqué et moins amusant dans l’ensemble, mais je ne regrette aucun de ces deux choix même s’ils ne m’ont pas forcément été très utiles jusqu’ici (hormis les points récupérés au Bac grâce à ma très bonne note :D).
Mon arrivée dans les langues vivantes – qui s’est effectuée avant – a été plus chaotique voire carrément perturbante : les cours théoriques basés sur des enfants-robots artificiels ne m’ont jamais donné d’autre envie que celle de fuir la pièce, tout comme l’idée de me ridiculiser devant toute la classe à répéter un texte également artificiel (pour ne pas dire stupide et vide de sens) que par conséquent j’avais eu du mal à apprendre (pas de motivation = pas de mémoire, je ne sais pas si ça vous arrive aussi ?). Bien sûr j’ai eu la chance de tomber deux fois (6e pour la LV1 et 4e pour la LV2) sur la même prof qui, m’ayant presque fait faire un blocage sur l’anglais avec une application stricte des méthodes susmentionnées (début de blocage très vite rattrapé grâce à quelques cours particuliers avec un vieil Américain adorable), m’a ensuite définitivement convaincue que l’allemand était une langue barbare et absconse. Je n’en suis plus si sûre aujourd’hui.
« L’allemand est la langue dans laquelle je me tais de préférence. » de Jules Renard
En troisième, j’étais donc plus intéressée par les langues mortes que par les vivantes, même si les cours d’Anglais ne me provoquaient plus de boule au ventre. A ce moment-là j’étais en pleine lecture de Harry Potter, et aussi du Seigneur des Anneaux (que peu de monde avait lu à l’époque, c’était juste avant l’adaptation en films 😉 ), et je ne me souviens plus lequel des deux m’est tombé dans les mains en VO en premier, prêté par quelqu’un. Mes débuts ont été très difficiles, surtout sur Tolkien, dont je connaissais pourtant la traduction française par cœur (ce qui m’a tout de même énormément aidé et permis de progresser très vite !). Harry Potter est beaucoup mieux passé car il contenait beaucoup plus de vocabulaire commun, et c’est là que j’ai réalisé que lire en langue étrangère me motivait bien plus que toutes les notes ou cours du monde, et que finalement l’anglais pouvait m’être très utile et très appréciable. Arrivée au Bac mes notes avaient beau ne pas être extraordinaires j’avais totalement changé ma vision de la langue et je pouvais lire pas mal de choses en anglais sans m’arracher les cheveux.
Arrivée dans la ville de mes études j’ai trouvé la caverne d’Ali Baba : la Bibliothèque Américaine – à l’époque non rattachée au service universitaire. C’est simple, c’est une bibliothèque qui a la taille d’une bibliothèque de petite ville (20 000 documents) et qui regroupe tous les types de livres et tous les domaines : BD, polars, SF, Fantasy, biographies, documentaires, essais, bilingues, jeunesse, albums… mais tout en langue anglaise. Je m’y suis inscrite avant même de prendre un abonnement à la médiathèque municipale, il y a tout juste 10 ans.
Depuis j’ai non seulement continué à lire en anglais, mais j’ai eu quelques envies parallèles. En effet ma bibliothèque personnelle contient à présent, en plus d’un certain nombre de titres en anglais, un livre en italien (lu à moitié, motivé par un cours d’italien mais également un cours de « compréhension des langues romanes » suivis à la fac), deux en allemand (je m’y remettrais un jour !) – tous des livres que j’ai déjà lus en français ou/et en anglais, et auxquels je pourrais donc appliquer une « grille de traduction » lors de ma lecture – mes hypothèses seront largement aidées par le texte qui me reste en tête. Je viens également, cet automne, d’y adjoindre quelques PDF en grec moderne – et finalement une œuvre papier dans la même langue.
Je trouve parfois / souvent cela très frustrant de ne pas tout suivre, ou d’en suivre suffisamment peu pour que cela freine ma lecture, mais en même temps mes acquisitions dans des langues dans lesquelles je n’ai que des notions peuvent être, je le sais, de puissantes sources de motivation pour relancer mes envies d’apprentissage et d’approfondissement de ces langues. Quelques cours de didactique des langues (vive les parcours complémentaires, j’ai adoré suivre ces cours en parallèle de l’anglais ! ☺) m’ont appris qu’on peut, ou plutôt que le cerveau semble le faire automatiquement, segmenter les activités d’apprentissage (Compréhension écrite / orale ; expression écrite / orale ; ou « Lire, écouter, écrire, parler »), et c’est bien ce que je compte faire ici, mon projet premier n’est pas tant pouvoir m’exprimer ou communiquer que déjà comprendre l’écrit, être capable de lire des textes, même si échanger avec des gens d’ailleurs ça peut tout à fait être sympathique.
« Les limites de ma langue sont les limites de mon monde » L. Wittgenstein
Pourquoi posséder des livres que je ne suis pas capable de lire de bout en bout ? Quelque soit la difficulté, c’est pour moi comme une palette de goûts : même si j’apprécie lire en VO anglaise – et que je me suis même totalement détournée de certaines traductions françaises qui ne me conviennent pas du tout – chaque langue est différente, a sa musique et son rythme que je perçois déjà même si je ne comprends pas tout – et le français a d’ailleurs tout à fait sa place au milieu des autres. Je pense que ne rien comprendre du tout à la langue ne permet pas de retirer du plaisir de la lecture, mais en comprendre un peu peut être suffisant si on arrive à s’affranchir des nombreux mots ou même phrases inconnus (c’est un mode d’apprentissage qui conviendra très bien à certaines personnes tandis que d’autres n’y arriveront pas, c’est normal 😉 top-down vs bottom-up, source : une de mes profs). Quand je tombe sur des liens en langue étrangère sur Internet, j’ai toujours ce réflexe d’essayer de faire sens, parfois sans succès (sans parler des soucis d’alphabet inconnu) mais pas toujours. Concernant les langues européennes par exemple, plusieurs sont reliées directement, donc c’est en fait assez facile de pêcher un mot ou deux, ici et là, surtout quand on connaît une voire plusieurs langues en plus de la sienne. 🙂 Quand j’entends des gens parler dans une autre langue j’essaie aussi de deviner au moins quelle langue ils utilisent, ou quelle famille de langue, même si je ne peux pas la comprendre. C’est un peu comme un hobby en fait, et en même temps un peu plus que ça car chaque nouveau mot étranger est susceptible de m’apporter une nuance qui n’existe pas dans la nôtre.
J’ai des contacts Facebook qui sont finnophones et je trouve leurs dialectes (oui parce qu’en plus ils ne parlent « pas vraiment finnois » ^^) fascinants. Je comprends rien ou presque mais je trouve ça beau, j’admire les mots et les agencements de lettres.
Il paraît que Tolkien avait eu une illumination en lisant une grammaire finnoise. J’en ai trouvé une à la BU : ça n’a pas marché sur moi (probablement une question d’édition).
NB : On m’a déjà posé la question : les langues, Tolkien… déjà essayé d’apprendre « l’elfique » ? Un peu au début, oui, mais il faut déjà faire la distinction entre le quenya et le sindarin car on trouve un peu des deux dans le Silmarillion – et finalement après une période de fol enthousiasme (2 mois) je me suis rendue compte que 1. Le corpus (Silmarillion + SdA) que j’avais en main était trop réduit pour en faire quelque chose (eh oui la plupart des textes attenant aux différentes langues de la Terre du Milieu se trouvent soit dans les ouvrages les moins connus de Tolkien, soit dans des revues spécialisées, à moins d’aller chercher des ouvrages d’auteurs qui ont déjà fait leurs recherches et ont eu accès aux manuscrits, etc. non publiés). 2. Y’a pas de livres en sindarin ni en quenya. Finalement je réserve mon énergie pour les langues réelles. ^^ Par contre j’ai fait un dossier scolaire sur le gallois, langue dont Tolkien se serait inspiré pour le sindarin (saviez-vous qu’une communauté gallophone existe en Patagonie ?)
Et vous ? Avez-vous déjà essayé de lire dans des langues étrangères ? Avez-vous l’impression d’en avoir tiré quelque chose ? Est-ce en projet, ou déjà une habitude ? 🙂
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J’aaaaime cet article, tu t’en doutes 😀
J’adore découvrir non seulement les habitudes de lecture des autres, mais aussi, et c’est plus rare, lorsqu’elles concernent des langues étrangères. Je ne compte plus les gens, qui non seulement me trouvent un peu timbrée de lire autant (enfin peut-être pas qu’un peu), passent à l’échelle au-dessus si j’aborde le sujet des langues étrangères …
Est-ce que je t’avais raconté avoir trouvé les tomes 1, voire 2, d’Harry Potter en latin à Emmaüs et que je ne les avais PAS pris parce que je n’avais plus de place du tout dans mes biblis de l’époque ? J’en pleure encore T_T
J’ai quelques livres bilingues de grec, je ne sais pas si je vais les garder (j’aime cette langue, mais ceux-ci ne sont pas trop mon truc), si tu es intéressée? ^^
Comme tu le sais déjà, je lis en anglais, mais depuis beaucoup moins longtemps que toi ! Je suis fascinée par ton parcours, et il faudra en parler en face, on n’y coupera pas, je te préviens 😀 J’aimerais faire entrer l’allemand davantage dans mes habitudes. Je le réserve pour des périodes légères en matière de travail parce que je vois cette langue comme compliquée toujours, même avec une série que je connais par coeur (laquelle, à ton avis? ;P ) et une autre déjà lue en français + anglais aussi (Angel Sanctuary). Je lis aussi des mangas en italien, avec beaucoup de plaisir, en attendant le goût, parce que c’est plus ça, de lire les romans que j’ai dans cette langue (pas d’imaginaire du tout, alors que c’est ce que je lis le plus …). Mais j’aimerais que lire dans ces deux langues devienne une habitude aussi ancrée que l’anglais ^^
Latin et grec ❤
Rhhaah c’est un crime de laisser des raretés comme ça, y’a toujours moyen de coller des livres au-dessus des étagères ou sous le lit… ^^ (comment ça mon cas est désespéré ?) Pour les bilingues de grec ça dépend vraiment quoi, donne-moi les titres / auteurs et je te dirai.
Comment ça tu lis en anglais depuis moins longtemps que moi ? J’ai aussi dû rater quelque chose ! 🙂 Tu retournes à l’Anim’Est ? On aura le temps de discuter. XD
Oui je sais que tu fais comme moi, tu relis toujours le même bouquin, on va finir comme ces gens autrefois qui pouvaient réciter des textes pendant des heures !! 😀 Astuce : Amazon a des livres en grec… mais passe plutôt sur le co.uk. Le Book depository en avait aussi. Pour le latin j’en sais rien. Ha je me souviens de ma prof de grec (+ latin / français), elle était fan d’Harry Potter et avait commencé à les lire en latin. ^^ Elle nous avait parlé de la version grecque mais sans nous la montrer, parce qu’à l’époque on avait le bac à préparer et les vieux textes à savoir. ça m’aurait pourtant bien plu !
Ohh un article très intéressant! Mon expérience avec les langues étrangères s’arrête avec l’anglais que je lis aussi bien que le français! Mais je ne pense pas que j’aurais un jour la motivation de me lancer dans une autre langue.. En tout cas tu as bien de la chance d’avoir accès à une bibliothèque américaine!
ça s’est mal passé aussi avec ta LV2 ? 🙂 Marrant ça, j’ai l’impression que beaucoup de personnes apprécient (un cours de) une langue sur deux dans l’ensemble. Ou tu en es juste restée au niveau scolaire sans t’y intéresser plus ?
C’est vrai que c’est long et souvent ardu de se (re)mettre à une langue, ça prend beaucoup de temps et je comprends tout à fait que peu de gens maîtrisent plus que 3 langues (et beaucoup seulement une), surtout dans les coins où l’on n’en utilise en fait qu’une ou deux.
Ma LV2 c’était l’anglais et ma LV1 l’allemand, c’est plutôt que je ne parle plus du tout allemand car je n’ai jamais l’occasion de le pratiquer! Pourtant, j’ai continué à prendre des cours d’allemand jusqu’à ma troisième année de fax, mais une fois que j’ai vécu à l’étranger et que je n’ai eu à utiliser que l’anglais, ça en était fini de l’allemand!
Ah quand même. 🙂 Tu as vécu où et dans quel cadre ? (études, au pair…) Et quelles sont tes habitudes en termes de lecture en anglais ? Je pense entre autres au type de livres que tu lis, comment ça t’a pris…
J’ai vécu une première année aux US pour ma troisième année de licence, j’avais déjà commencé à lire en anglais avant cette année là mais uniquement Harry Potter. Du coup, là bas, je me suis vraiment mise à lire en anglais en empruntant tous les livres de ma coloc! Puis j’ai re-vécu aux US en 2010-2011 pour le boulot, et enfin deux ans à Hong Kong où je ne parlais et ne travaillais qu’en anglais! Du coup, je lis un peu de tout en anglais, ça dépend juste de ce que j’ai sous la main! Forcément, je lisais beaucoup plus en anglais quand j’étais à l’étranger vu que j’avais accès à une super bibliothèque avec plein de livres en VO!!! Aujourd’hui, j’ai une grosse PAL en anglais aussi qu’il faudrait que je fasse baisser 🙂
Très interessant cet article. Tu m’as remotivée pour lire mes quelques livres en anglais et ce pauvre livre en italien qui traine depuis plus d’un an sur ma table de nuit. Page 8 :D.
Moi j’ai lu ma couverture (rabats + résumé) et la toute première page de mon livre grec ! 🙂 Je sens que je vais avancer super lentement, ça va me faire tout bizarre après l’anglais que je lis maintenant couramment. Je repenserai à toi et aux autres débutants en quelque langue que ce soit. Néanmoins, même si ça me fait plaisir de te remotiver, je comprends aussi les gens qui n’arrivent pas, ou n’ont pas envie, de lire en langues étrangères : ça prend du temps et il y a toujours un passage difficile, il faut avoir la motivation nécessaire pour s’accrocher, et pas forcément trop d’autres loisirs chronophages. 🙂
C’est pas tant l’envie ou la motivation qui manque, c’est vraiment le temps. Si tu découpes trop la lecture, tu n’arrives pas à rentrer dedans. Mais pour en lire beaucoup d’un coup il faut compter (chez moi) 2h facile.
Comme tu dis, faut s’accrocher ^^.