* Ou comment tenter de faire la lumière sur un sujet parfois obscur, obscurci, abscons.
Lorsque j’ai dit que j’avais bien aimé Orgueil et préjugés on m’a fait la réflexion : « Mais… d’habitude tu n’aimes pas les romances ? » – et je trouve que c’est une réflexion très pertinente.
Pourquoi est-ce que cette lecture a été si plaisante, alors que le résumé de Twilight et sa première page (lus après quelques critiques de copines) m’ont fait immédiatement reposer le livre sans aucun regret, que je n’ai lu une paire de Harlequin que pour « être sûre » que le style ne me plaisait pas (mon Dieu qu’est-ce que c’est ch***t !!), et que maintenant forte de mes expériences j’ai tendance à évincer de mes choix de lecture toute romance, ou presque, clairement définie comme telle ?
Une question d’intolérance
Au risque de passer pour une élitiste, ce que je suis peut-être tout simplement :p, je dirais que le style m’importe beaucoup, dans certains cas. Je crois que c’est en grande partie pour ça que les sous-genres bit-lit, urban fantasy et autres me rebutent autant. Lire du cucul, du moralisateur, du trop stéréotypé, pourquoi pas, après tout Le Petit Lord Fauntleroy, le Jardin Secret, et d’autres livres du même acabit, dont quelques romances (d’Emily Brontë principalement), font partie de mon patrimoine de lectrice depuis longtemps, et même si ce sont des classiques ce ne sont pas toujours à proprement dit des chefs-d’œuvre ! La grosse, l’énorme différence que je fais entre ces derniers (par exemple) et les tendances romanesques YA actuelles (par exemple aussi, puisqu’on en parle beaucoup), c’est le style, la manière dont c’est amené, même si le fond peut toujours paraître gnangnan (ou l’est carrément).
On accuse beaucoup les gens qui ne suivent pas la vague (je me sens visée parfois) de faire preuve d’intolérance. J’évite de sortir « Twilight, c’est de la merde » en face des gens, bien que je n’en pense pas moins. La forme exacte et polie est « je n’aime pas cette histoire, et le style très médiocre ne me permet pas de passer au-dessus de la romance omniprésente et des personnages sans saveur qui je le sais vont me soûler extrêmement rapidement ». Mon sentiment n’est pas tant que les gens qui lisent ça font preuve de manque de culture, ou d’estime de soi. Bien sûr je me sens très éloignée des gens qui ne lisent pas du tout les mêmes genres que moi, comme tout un chacun. « Chacun est libre de lire ce qu’il veut, d’aimer des genres différents ou un seul genre, de détester d’autres genres », ça tout le monde le dit, c’est assez vrai, et ça n’empêche pas les gens de ne pas copiner sans regrets quand ils ont des goûts littéraires opposés, et de prendre un peu de haut les gens qui lisent des trucs plus « faciles » que nous (on aime bien le mot « tolérance », mais je pense qu’il y a ici une certaine réalité sociale ou psychologique – on est toujours assez content de soi quand on lit un truc compliqué, vous ne pensez pas ? Comportement à corriger, certes ;)).
(Je suis partie sur les tendances romanesques dites « fantastiques » actuelles, plus que sur les autres tendances romantiques, tout simplement parce que ni Danielle Steel ni Nora Roberts ni les romans populaires ni leurs lectorats n’ont de ce que je sais déclenché de polémique, de revendication du genre, etc. aussi passionnés – et que j’en suis toujours à réfléchir sur le pourquoi du comment des réactions de part et d’autres des deux « camps »)
Objectivité, diversité
Non, ce qui me hérisse c’est quand les lecteurs de bit-lit (ou autre, mais encore une fois c’est ce qui est au-devant de la scène littéraire en ce moment) me sortent des inepties qui dénotent de mon point de vue un manque total de regard objectif sur leurs propres lectures : « Stephenie Meyer elle écrit trop bien.« [t’as pas dû lire grand chose dans ta vie, alors… et sauter toutes les lectures scolaires, qui bien que souvent ennuyeuses de mon point de vue, sont là pour te montrer quels styles il peut exister, les différences de niveau, etc ! Dis simplement que tu aimes son style fluide, ne tente pas de me faire croire que c’est le nouveau Proust -_-] « Dans X il y a de la magie, j’aime X donc j’aime aussi Y. » [sans commentaire, surtout quand les gens me le sortent tout à fait sérieusement – enfin celui-ci est plus drôle que triste] Comparaison (positive, égale) plus que fréquente entre Bram Stoker et les univers vampiriques actuels. [Mis à part les vampires en tant que personnages… je vois pas °_° Vous avez lu Stoker, bien sûr ?… Ah bon, en plus, vous l’avez vraiment lu ???] Je me hérisse autant quand des gens regardent de haut Harry Potter, le considérant comme de la « lecture débile pour les gamins » – ceux-là en général ne connaissent pas plus d’auteurs jeunesse que ceux cités plus haut n’ont lu de fantastique (des siècles passés).
Dites que vous aimez, n’aimez pas, n’accrochez pas, ou aimez ou pas les univers. Mais arrêtez juste de comparer ce qui n’est pas comparable. Je ne me pique pas de lire du Sir T. Mallory en lisant du Tolkien. Crichton n’est pas C.S. Lewis. S. Meyer n’est pas A. Stoker. La littérature jeunesse n’est pas comparable avec les albums, ni les premières lectures. Morpurgo m’a l’air plus mature que beaucoup de romans édités en « Black Moon », d’après ce que je lis, ce qui n’empêche pas certains de se retrouver plus dans les héroïnes ados que dans les enfants héros des romans de Morpurgo, je le conçois. Les styles diffèrent autant que les thèmes larges ou univers, et peuvent d’autant plus différer lorsqu’ils sont écrits à des époques différentes. Je peux vous trouver 10 livres sur les vampires qui s’adressent à des publics différents, de manière différente. Malgré les subdivisions en genres et sous-genres chaque auteur a sa propre plume (sauf ceux qui n’écrivent ni avec originalité ni avec style, mais c’est assez rare). C’est là toute la diversité, toute l’âme de la littérature. La urban fantasy, c’est la urban fantasy, point barre (pareil pour les autres catégories). Je veux bien croire qu’il y a dedans des auteurs meilleurs que d’autres, des histoires mieux racontées, des séries plus vendues, mais n’allez pas me faire prendre ça pour les « dignes successeurs » (au sens de « compatriotes », « voisins », « collègues », voire « frères et sœurs ») de Shelley, Sheffield, Dunsany ou Le Fanu ! Ce sont deux générations différentes (voire trois…), des styles tout à fait différents, des ambiances différentes… c’est tout aussi ridicule que de comparer certains titres de S-F avec de la fantasy, ou certains auteurs très spéciaux entre eux. D’ailleurs les lectorats ne se croisent pas forcément du tout, au contraire de ce que certaines tendances « geeks, nous sommes tous geeks et aimons ce qui est fantastique« aimeraient le faire croire :D.
Il est vrai que la publicité des éditeurs les conduit fréquemment à mélanger torchons et serviettes, à comparer par exemple Pullman et Tolkien (vu dernièrement). J’ai lu les deux, et mis à part qu’ils aient vécu tous deux à Oxford et utilisent des éléments merveilleux dans leurs livres, il n’y a juste aucun point commun entre les deux styles, ni leurs univers. Je pense que j’en trouverai d’autres tantôt, c’est vraiment très commun de nos jours (snif, dire que les éditeurs sont censés transmettre la culture… je ne sais pas à quel niveau il y a souci, mais c’est parfois cocasse !).
Les limites de la tolérance – les goûts, la subjectivité – d’où le besoin d’analyse ?
J’ai lu un certain nombre de choses débiles mais distrayantes, quasiment à chaque fois sur le ton comique, même si j’éprouve le besoin de lire aussi d’autres choses plus intellectuelles en alternance. Dans la catégorie « lectures difficiles à mettre en avant » j’ai lu Lord of the Ringards (parodie du Seigneur des Anneaux), j’ai bien ri malgré les obscénités et stupidités récurrentes, je l’ai même relu. Cela n’en fait pas le bouquin de l’année, ni un livre que je vais recommander à n’importe qui. Quand des gens me disent : « j’ai pas pu lire le Seigneur des Anneaux, cet auteur est chiant, il fait trop de descriptions », je n’ai rien à répondre. L’argument est juste. Je ne recommande pas non plus Tolkien à tous. A la décharge de l’urban fantasy (et alii), on peut considérer Le Fanu (qui a aussi écrit sur les vampires) comme un vieux type moralisateur qui écrit de manière totalement archaïque et parfois pédante (et si ça ne s’applique pas tout à fait à lui, ça s’applique à Stoker et Dunsany).
Par conséquent quand je dis « je ne veux pas essayer de lire Twilight parce que je n’aime pas les romances« , et que la lectrice fana en face de moi essaye malgré tout de m’embobiner et m’amener à perdre mon temps à lire ça en me parlant de questions politiques qui seraient aussi présentes dans le livre, etc, [alors que partout j’entends que oui, la romance est le cœur de l’histoire, et que oui c’est totalement stéréotypé – y compris de copines qui me connaissent, qui ont une culture littéraire diversifiée, et ont elles lu le livre en entier (et même le tome 2), et me répètent que franchement le style est très simple et l’univers pas plus développé que ça entre les scènes de mamours] —- j’ai vraiment l’impression d’être prise pour une abrutie… Et ce genre de discours a tendance à se répéter.
Pourquoi ? Les lecteurs de Danielle Steel se cantonnent eux toujours à un : « j’adore les belles histoires d’amour » tout à fait légitime et non opposable. Qu’a donc apporté cette nouvelle vague littéraire « populaire » ? Qui sont vraiment les lecteurs imbus d’eux-mêmes (ou « aveuglés »), intolérants ? (Je sais que la dernière phrase peut paraître désagréable, mais je pense que la question vaut la peine d’être creusée dans les deux sens). Je veux bien tenter d’être conciliante, mais arrêtez aussi de placer ce p**** de piédestal sous vos propres lectures, ou de raconter du n’importe quoi n’importe comment juste pour convaincre tout le monde que si vous aimez quelque chose ça a forcément toutes les qualités possibles et que ceux qui n’aiment pas ne sont que des aveugles face à la si belle prose de vos auteurs préférés…
Vers un début de compréhension
L’autre jour, aux Imaginales, je suis passée à l’attaque. Ce genre de question/conflit me taraude, me titille, et j’ai abordé le stand du Chat Noir (éditeur spécialisé en bit-lit, urban fantasy et steampunk, je crois), auquel se trouvait entre autres un jeune homme* qui m’a agréablement surpris. J’ai délibérément choisi de montrer mon côté « élitiste » en approchant du stand, ne me suis pas cachée de mon dédain pour le genre en manipulant les livres, toujours à la recherche d’un auteur, un titre qui ne me rebuterait pas autant que les autres (malgré tout mon fiel, je reste quelqu’un d’obstinément curieux ! 🙂 ), et ai attendu impatiemment la réaction adverse (vicieuse ? oui, mais à des fins constructives :D).
*Mathieu Guibé, auteur de son état ! (je l’ai su par la suite)
Quelques minutes plus tard j’étais engagée dans une conversation – une vraie ! Pas une bataille de « C‘est de la merde » – « Non c’est pas vrai c’est génial« . Moi, expliquant mes réticences sur le genre, tentant de mettre des mots sur ce qui ne me plaît pas, me dérange, n’arrive pas à aimer en aucun cas. Lui, écoutant, écoutant vraiment, concluant que Oui, la romance reste présente dans leurs collections à un sacré pourcentage, et oui, souvent centrale au livre. Et les super héroïnes, les gonzesses qu’ont tellement de qualités qu’elles en sont imbuvables ? Oui, assez vrai aussi, cependant pas entièrement. Quelques titres n’en font pas partie – Mais ceux-là non plus ne me plaisent pas, ne m’attirent pas, trop simplistes peut-être ? A moins que je me trompe, après tout je n’en ai quasiment pas lu, juste quelques pages ici et là, et les résumés, plein de résumés, qui toujours, avec les échantillons de texte, me rebutent… « Ah, mais oui, ça reste du divertissement. C’est un des points forts du genre : style simple, histoires simples aussi, ou mises à la portée de tous. Pareil pour les personnages, un minimum diversifiés mais parfois aussi assez semblables d’un livre sur l’autre. Pour divertir les lecteurs, avant tout, pas les faire réfléchir ou quoi que ce soit.*
>>> Illumination, quelque part. Le roman populaire est assez fameux pour son rôle de divertissement. Ce genre m’agace aussi prodigieusement. CQFD ? Je n’aime pas les livres intrinsèquement divertissants ? à confirmer.
* Je reporte cette conversation d’après mes souvenirs, ce que j’en ai retenu qui a alimenté ma réflexion. Cela n’est en aucun cas imputable aux éditions du CN elles-mêmes, leur discours officiel ou commercial, etc.
Conclusion
Très intéressant, ton article. J’avoue que j’ai du mal aussi à ne pas faire ma râleuse lorsque mes élèves s’extasient devant Twilight ou d’autres livres que je n’ai pas aimés du tout. L’avantage, c’est que je me rappelle de quand j’avais leur âge et que je les lisais ou aurais pu les lire. Mais parfois, c’est dur.
J’aime particulièrement ton dialogue avec Mathieu Guibé. Si tu veux bien, on ajoute ce sujet à nos prochaines discussions IRL, même si je crois bien qu’on l’a déjà abordé … me souviens plus ^^,
Et puis moi, j’aime bien Nora Roberts, c’est une auteure doudou ^^ j’ai un faible pour sa série SF-policier In Death !
Oui, j’ai appris récemment que Roberts était en fait très diversifiée ! 🙂 Je devrais peut-être trouver un autre exemple…
La conversation avec Guibé est en raccord avec ce dont je me souvenais au moment d’écrire l’article, ça m’a frappée car c’est une des premières conversations sérieuses que j’ai pu avoir sur le sujet. Du coup même si je n’ai pour le moment lu aucun de ses bouquins j’ai maintenant une bonne opinion de lui en particulier. ^^
J’aurais peut-être plus accroché au genre à 12 ou 14 ans, ce n’est pas impossible. En fait ce n’est même pas impossible que je finisse un jour accro au genre tout court, qui sait ? Il parait que nos envies changent ou peuvent changer avec le temps. Cependant je me souviens que même jeune lectrice j’avais déjà pas mal de critères dans ma tête, j’ai toujours distingué les livres « de qualité » (même si ça repose sur bien des choses diverses) des livres qui me plaisaient tout simplement, et aussi les différents éléments de chaque livre. Par exemple je me souviens qu’en lisant une bonne grosse moitié de la série Chair de Poule, je me suis rendu compte que c’était ultra répétitif, et que la moitié des héros étaient passablement stupides. ça ne m’a pas empêché de continuer à les lire parce que j’y trouvais du suspense et une forme d’horreur qui me plaisait. Ce sont juste deux choses différentes pour moi : le plaisir de la lecture d’une part, et la qualité du livre d’autre part. Je sais que ce dernier mot est une abomination pour certaines personnes, mais je ne comprends pas très bien pourquoi. Après tout personne ne vante le McDo pour ses qualités gastronomiques ? (j’étais partie pour filer une métaphore de bouffe dans l’article, mais finalement j’ai réussi à faire sans ^^). Donc oui, j’aurais peut-être dévoré Twilight à 14 ans. Néanmoins, par comparaison avec le Seigneur des Anneaux que j’ai lu également jeune, je suis certaine que j’aurais tiré certaines conclusions en défaveur du premier, d’un point de vue « procédural », mécanique – si on peut parler de mécanique de l’écriture !
Et pour t’embêter, je te dirais qu’il y a certains romans de Danielle Steel qui ont aussi une forte couleur historique 😛
Je crois que oui, les goûts évoluent, forcément. J’aimais beaucoup la fantasy urbaine au départ (je préfère franchement ce terme à la bit-lit, hein, faut pas déconner non plus) et tu as vite l’impression d’avoir tout vu dans les séries Milady. Donc même les quelques de ma PAL, je ne m’y mets plus très vite.
J’évite d’utiliser le terme de qualité, mais je vois la différence que tu mets en avant. Pour ma part, ça n’était pas tellement les Chair de Poule, même si j’en ai lu quelques-un, j’aimais beaucoup les Cœur Grenadine aussi, malgré comme tu le mentionnes un aspect répétitif.
Et tu sais que je ne vais rien dire du SDA, il faudrait que je le finisse, déjà 😛